Démons et merveilles by Lovecraft

Auteur:Lovecraft
La langue: fra
Format: epub
Tags: Collection 10/18 - Domaine étranger n° 72
Éditeur: UGE - 10/18
Publié: 1996-04-15T00:00:00+00:00

Ils avaient habité ici jusqu’à l’époque du grand-père du vieux tavernier et senti vers ce temps-là que leur présence déplaisait aux forces obscures. Les maisons s’étaient élevées jusqu’au sommet de la montagne mais plus elle s’élevaient plus il manquait de gens à l’aube. Ils décidèrent, à la fin, que mieux valait émigrer tous ensemble, puisque l’on entrevoyait dans les ténèbres des choses dont personne ne pouvait tirer une interprétation favorable, aussi descendirent-ils tous vers la mer pour se fixer à Bahama où ils habitaient un très vieux quartier. Ils apprirent à leurs fils l’art très ancien de sculpter des figurines et ceux-ci le pratiquent encore de nos jours. C’est de la bouche des descendants des exilés de la montagne que Carter avait entendu les meilleurs récits sur le Ngranek au cours de ses investigations dans les vieilles tavernes de Bahama.

Tandis que Carter réfléchissait à tout cela, la haute pente déchiquetée du Ngranek s’estompait de plus en plus dans les hauteurs au fur et à mesure qu’il en approchait. Il y avait eu d’abord des arbres espacés, puis de maigres buissons, puis des rocs hideux et nus qui dressaient leurs formes spectrales vers le ciel, mêlés aux glaces et aux neiges éternelles. Carter pouvait apercevoir les crevasses et la rugosité des pierres sombres, spectacle peu engageant pour celui qui risquait l’escalade. Par endroits des courants de laves solides et de scories se répandaient sur les pentes et dans les saillies ; quatre-vingt-dix éternités auparavant, avant même que les dieux dansassent sur son pic pointu, la montagne crachait du feu et retentissait des grondements du tonnerre souterrain. Maintenant, elle se dressait silencieuse et sinistre, portant, cachée sur son flanc, la statue gigantesque et secrète dont parlait la légende. Des cavernes s’ouvraient quelque part qui pouvaient être vides et solitaires au fond de leurs vieilles ténèbres, mais qui pouvaient aussi – si la légende disait vrai – abriter des horreurs dont la forme n’était même pas soupçonnable.

Le sol parsemé de chênes rabougris, d’arbres calcinés, d’éclats de roches, de laves et de scories, s’élevait jusqu’au pied du Ngranek. Çà et là gisaient les restes carbonisés de nouveaux campements où avaient dû stationner les ramasseurs de lave. Il y avait aussi quelques autels grossiers qu’ils avaient dressés soit pour s’attirer la clémence des Grands Anciens, soit pour écarter des choses dont ils avaient rêvé la présence dans les passages élevés et dans les cavernes en labyrinthes du Ngranek. Le soir, Carter atteignit le tout dernier tas de cendres et s’y arrêta pour la nuit, attachant son zèbre à un jeune arbre et s’enroulant soigneusement dans sa couverture avant de s’endormir. Tout au long de la nuit un voonith huhula dans le lointain sur le bord de quelque étang caché, mais Carter n’avait aucune peur de cette horrible chose amphibie depuis qu’on lui avait affirmé qu’aucun d’entre eux n’osait approcher des contreforts du Ngranek.

Dans le soleil levant, Carter commença sa longue ascension emmenant son zèbre aussi loin que la bête put le suivre utilement, puis l’attachant à un arbre calciné lorsque la pente du bois devint trop forte.

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